«Je crois au futur de l’imprimerie»
En moins d’un an, Reka Print a racheté deux entreprises, revendiquant le statut de plus importante imprimerie du pays. Rencontre avec son gérant, Frédéric Gillen, pour évoquer des ambitions en plusieurs formats et supports.
L’imprimerie Reka Print montre un bel appétit ces derniers mois avec la reprise, fin 2020, d’Italux, une société spécialisée dans les emballages et cadeaux personnalisés, puis, au printemps dernier, de WePrint, un autre concurrent spécialisé dans les impressions grand tirage. Frédéric Gillen, le gérant de la PME basée à Ehlerange, qui a grandi de 50 à 84 salariés, ne cache pas son ambition: faire de celle qui est devenue la plus grande imprimerie du pays un one-stop shop pour tous les travaux d’impression.
Quand on regarde l’historique de l’entreprise, Reka a toujours connu une croissance organique. Puis il y a eu deux rachats successifs, Italux et WePrint. Quel est leur but et d’autres rachats sont-ils prévus?
Frédéric Gillen. – «En fait, nous n’avions rien planifié, c’était un peu opportuniste. Pour Italux, nous sommes tombés dessus; idem pour WePrint. Nous ne voulions pas laisser passer ces opportunités, car on ne pouvait exclure qu’un investisseur ou une imprimerie étrangère tente de les racheter. Ici, nous contrôlons la concurrence. Après, sans rien dévoiler, il n’est pas à exclure qu’il y ait des développements, si l’occasion se présente. Mais je ne peux pas vous en dire plus…
Comment s’est déroulé le rachat d’Italux en particulier?
«Italux était – tout comme Reka Print en 2017 – confrontée à une problématique de succession: les deux enfants du patron étaient en âge de reprendre la société, mais nullement intéressés. Ils ont rencontré mes associés, des négociations se sont ouvertes et un accord a été conclu pour la reprise. La société est aujourd’hui en passe d’être totalement intégrée dans Reka Print.
Vous êtes devenu gérant de Reka Print en 2018 suite à sa vente l’année précédente par son propriétaire, Jean-Marc Bintner. Aujourd’hui, à qui appartient Reka Print?
«Gauthier Gosselin et Georges Zahlen sont mes associés. En tant que general partners, ils gèrent un fonds destiné à reprendre des sociétés qui ont des problèmes de succession ( Axiomatic, ndlr). Derrière ce fonds, on trouve des entrepreneurs luxembourgeois. Je suis moi-même actionnaire de Reka Print avec Axiomatic.
« Nous étions la première imprimerie à avoir l’impression climatiquement neutre; d’autres imprimeries l’offrent, mais sur demande seulement. Nous compensons toutes les émissions, nous avons le label FSC aussi. »
Frédéric Gillen, gérant, Reka Print
Quelle est la stratégie que vous avez définie pour Reka?
«Notre stratégie, c’est le one-stop shop. En imprimerie, il y a tant de secteurs différents, de produits, de métiers… Avec le rachat d’Italux, nous couvrons désormais l’emballage. Avec l’acquisition de WePrint, nous pouvons produire tous les volumes en grand format. Le grand format est aujourd’hui quelque chose de très demandé, c’est un métier différent. Nous avons engagé Thierry Bidinger, qui avait auparavant sa propre activité spécialisée dans le large printing. Reka a repris ses machines et son know-how pour développer le grand format.
Pouvez-vous préciser votre plan d’investissement?
«Un peu plus d’un million d’euros sont prévus au cours des prochaines années, mais une partie se fera déjà cette année.
Mais à quoi ce montant sera-t-il dédié concrètement?
«À actualiser le parc de machines existant, à faire plus d’in-housing et à développer l’impression grand format (LFP): tout ce qui est grandes affiches, pages, stands, lettrages. Il s’agit donc majoritairement d’achat de machines, mais aussi des logiciels qui y sont liés.
Donc les actionnaires de Reka sont prêts à mettre les liquidités nécessaires pour soutenir la croissance de l’entreprise, qui passerait par d’autres rachats…
«Oui.
Le rachat d’Italux a apporté une nouvelle business line: les objets personnalisés…
«Les objets personnalisés représentent un petit domaine. Italux est aussi spécialisée dans les emballages, les sachets – les sachets économiques mais aussi de luxe –, les boîtes de luxe, les emballages alimentaires. Il y a les goodies aussi. Mais c’est une minorité par rapport au reste. La valeur ajoutée d’Italux, c’est vraiment le conseil dans le développement d’emballages, et l’emballage de luxe. Nous avons pas mal de clients de renommée au Luxembourg et à l’étranger, mais pour des raisons de discrétion nous ne pouvons pas dévoiler leur identité.
Le marché de l’emballage en papier est-il porteur? On assiste à une chasse au plastique en ce moment…
«Effectivement, mais elle a été suspendue avec le Covid. C’était du one shot à nouveau. Mais, en général, bien sûr qu’il y a une tendance vers l’écologique. Une loi précise que, pour l’alimentaire, il faut préconiser une solution plus durable. Et nous pouvons fournir les produits adaptés à ces besoins et en accord avec les lois qui vont être en application dans les années à venir. Mais au moment du Covid, c’était le plastique.
Reka Print met en avant la dimension RSE. Est-ce une manière de se distinguer de la concurrence?
«C’est un atout, mais on n’est pas les seuls. Nous étions la première imprimerie à avoir l’impression climatiquement neutre; d’autres imprimeries l’offrent, mais sur demande seulement. Nous compensons toutes les émissions, nous avons le label FSC aussi. C’est quelque chose d’important. Nous voulons investir dans des panneaux solaires pour continuer de développer ce côté durable qui nous tient à cœur.
« La fin de l’année 2020 a été marquée, pour nous, par une reprise, comme s’il n’y avait pas eu le Covid. Puis, au premier trimestre 2021, il ne s’est plus rien passé, c’était catastrophique. »
Frédéric Gillen, gérant, Reka Print
Comment peut-on être un imprimeur durable lorsque l’on produit des choses qui sont souvent jetées à la poubelle?
«Souvent, on imprime sur du papier recyclé. Et puis, le papier, c’est du papier recyclable. Émettre un e-mail, cela produit aussi du CO2. Si l’on compare un e-mail et un flyer imprimé, l’empreinte carbone n’est pas si grande que cela. Au final, les volumes d’impression ont tendance à diminuer… Cela reste du papier, ce n’est pas du plastique, c’est un produit issu d’une source naturelle. Produire des voitures, c’est aussi quelque chose dont tout le monde a besoin, comme pour les produits imprimés.
Qu’est-ce que WePrint vous apporte, pour sa part, dans votre activité?
«WePrint, c’est déjà une presse huit couleurs qui produit le double par rapport à la nôtre. Par contre, elle ne va pas doubler notre chiffre d’affaires, ce n’est pas aussi simple. Maintenant, il faut préciser que c’est une machine conçue pour l’impression de grands volumes. Chez WePrint, ils sont relativement automatisés et possèdent une importante expertise au niveau du workflow IT. Nous voulons nous développer davantage sur le segment des gros volumes.
Reka a connu plusieurs déménagements. Comptez-vous garder les implantations de WePrint et Italux?
«La majorité sera rapatriée à Ehlerange, à l’exception de la grande presse, qui va rester à Hamm. Nous envisageons de développer le large printing – le LFP – à Hamm.
Vous avez suffisamment d’espace ici?
[Rires] «Cela devient très étroit pour tout le monde. On va probablement devoir agrandir, mais ça n’est pas pour tout de suite. Mais on a des solutions temporaires pour ne pas avoir de problème pour l’instant.
En quoi le Covid a-t-il affecté l’activité de votre entreprise?
«Les commandes ont chuté fortement au début du confinement. Aujourd’hui, nous sommes considérés comme un secteur vulnérable et nous pouvons encore bénéficier à 100% du chômage partiel. La fin de l’année 2020 a été marquée, pour nous, par une reprise, comme s’il n’y avait pas eu le Covid. Puis, au premier trimestre 2021, il ne s’est plus rien passé, c’était catastrophique. J’estime qu’avec la crise du Covid, toutes les imprimeries ont perdu de 20 à 30% de leur chiffre d’affaires en 2020. Pour 2021, l’année n’est pas encore terminée, mais on voit la lumière au bout du tunnel.
Combien de personnes de votre entreprise sont-elles au chômage partiel?
«Cela varie au fil des jours, le planning est mis à jour constamment. En moyenne, cela touche de 10 à 20% de la masse salariale environ.
« Même au Luxembourg, il arrive que quelqu’un brade. Mais je ne vais pas donner de noms. J’en connais quelques-uns qui le font, mais ce n’est pas dans l’intérêt de la profession de faire cela. »
Frédéric Gillen, gérant, Reka Print
Quelle est la composition de votre clientèle?
«À 99%, c’est du business to business (B2B). Dans le top 20, il y a, je crois, une quinzaine d’agences de communication. En relation, les privés ne représentent donc qu’une part minime, mais j’ai l’ambition de la développer bientôt. Je ne veux pas trop parler pour le moment. Nous sommes en train de développer un package one-stop shop pour tout le monde.
L’Amil (Association des maîtres imprimeurs du Grand-Duché de Luxembourg) compte une trentaine de membres. Le pays a-t-il autant d’imprimeurs?
«Non, des vrais imprimeurs qui impriment, je pense qu’il y en a une douzaine. L’Amil compte aussi des relieurs, d’autres professions connexes et, au final, beaucoup de petites structures. Avec l’acquisition de WePrint, nous avons évidemment un peu consolidé notre position.
Aujourd’hui, qui est votre plus grand concurrent?
«Maintenant, c’est l’Imprimerie Centrale. Mais nous avons d’autres concurrents, comme Ossa, Schlimé et d’autres.
Comment se passent vos relations avec ceux-ci?
«J’ai une bonne relation avec le président de l’Amil, Jean-Paul Schmitz (par ailleurs administrateur d’Ossa, ndlr), que j’apprécie fortement. On échange sur les problèmes du marché, notamment le dumping des prix que pratiquent certaines imprimeries. Pour le reste, nous sommes des concurrents qui travaillent de manière correcte. Parfois on pique un client, mais c’est le jeu.
Vous laissez entendre qu’il y aurait un dumping sur les prix: c’est un phénomène que vous constatez entre imprimeurs au Luxembourg ou par rapport à des concurrents établis à l’étranger?
«Même au Luxembourg, il arrive que quelqu’un brade. Mais je ne vais pas donner de noms. J’en connais quelques-uns qui le font, mais ce n’est pas dans l’intérêt de la profession de faire cela. Les prix qu’on facture sont aussi liés aux charges élevées en comparaison avec l’étranger: nous avons d’autres salaires, d’autres loyers qu’à l’étranger, tout cela est normal.
Vous évoquez la présence d’imprimeurs étrangers sur le marché luxembourgeois. Quelle est leur part de marché?
«Je sais qu’il y a des imprimeurs qui se situent près de la frontière et qui sont des concurrents, mais la part qu’ils représentent, je l’ignore.
Vous avez une idée de la part de marché que détient Reka au Luxembourg?
[Sourire] «Non.
Il y a les services d’impression en ligne. Vous les considérez aussi comme des concurrents?
«Oui et non. Pour des produits très simples, il est difficile de s’aligner, mais notre valeur ajoutée, c’est le conseil et le parc de machines diversifié. Nous avons beaucoup de salariés, nous avons le service et le conseil à la clientèle, et nous proposons un accompagnement personnalisé à nos clients. Si le client souhaite des cartons d’invitation avec une finition particulière, un autre imprimeur ne saura pas répondre à cette demande.
Il faut se différencier, et c’est pour cela que nous voulons devenir un one-stop shop pour tout offrir in-house. Nous avons eu des clients qui, plusieurs fois, ont commandé en ligne, mais c’est une loterie: on ne reçoit pas forcément ce que l’on a commandé, on doit repasser commande et, au final, ce n’est peut-être pas aussi avantageux qu’il y paraît.
« Je peux vous le confirmer: travailler dans un secteur où l’on voit directement ce que l’on produit est gratifiant. »
Frédéric Gillen, gérant, Reka Print
Quels sont les principaux défis face à vous?
«L’intégration de nouvelles acquisitions, gérer les projets d’investissement qui sont en cours et analyser d’autres opportunités. C’est un travail à temps plein.
Vous avez travaillé dans le secteur bancaire avant de rejoindre celui de l’imprimerie. Comment cette transition s’est-elle effectuée?
«Je connais l’un de mes associés, Georges Zahlen, depuis l’école. Nous nous sommes revus durant l’été 2018 et il m’a demandé si je voulais reprendre une entreprise. Cela me semblait intéressant, mais je voulais savoir de quoi il s’agissait. L’imprimerie en direct, quelqu’un qui n’est pas du métier ne peut pas se représenter clairement de quoi il s’agit. Au premier abord, entrer dans une imprimerie en plein cœur d’une période résolument digitale semble un pari risqué.
Mais, après avoir découvert le business plan, les clients, le fonctionnement, le positionnement sur le marché, je me suis dit que cela pouvait être un challenge très intéressant. Je m’y suis engagé et je peux vous le confirmer: travailler dans un secteur où l’on voit directement ce que l’on produit est gratifiant. Venant d’un métier non lié à l’imprimerie, je vois les choses d’un autre point de vue et c’est pourquoi je peux me permettre de me concentrer sur le développement stratégique. Mon équipe est parfaitement opérationnelle et elle fonctionne de manière tout à fait indépendante.
Est-ce que, parfois, le milieu bancaire ne vous manque pas?
«Du tout.
Qu’est-ce que vous aimez dans ce métier de l’imprimerie?
«C’est tangible: on a un résultat, quelque chose que l’on peut toucher. C’est pour cela que je crois au futur de l’imprimerie. Je peux recevoir des centaines d’e-mails par jour, mais si c’est plutôt une belle invitation en papier, avec une belle finition, je me sens plus valorisé. Je peux aussi tout de suite développer mes idées, réaliser mes projets. Je décide où on va puis, avec mon équipe, on fonce.»
Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de Paperjam du mois d’octobre parue le 23 septembre 2021.